Pour l’ancien résistant et créateur du concept de « pensée complexe », qui aura 103 ans en juillet, les élections législatives déclenchées par le président Macron ont conduit à un confusionnisme généralisé, mais aussi à une revitalisation politique.
La dissolution de l’Assemblée nationale est un pari pascalien et pokérien.
Pascalien, pour donner foi en sa présidence ; pokérien en offrant sa carte maîtresse au hasard. Les risques courus par le président sont considérables ; mais ne pas dissoudre aurait conduit à la décomposition du macronisme et, à terme, au risque fatal d’une élection présidentielle en faveur du Rassemblement national (RN).
Pensée novatrice
La dissolution a suscité de façon inattendue une sortie de léthargie, une revitalisation politique et une nouvelle configuration : à gauche, à partir d’un émiettement politique, la constitution d’un Front populaire. A droite et à l’extrême droite, c’est la crise des Républicains, de Reconquête, et la polarisation autour du RN. Deux blocs tendent désormais à écraser le centre macronien.
Le RN se présente dans ses habits neufs : républicanisme, démocratisme, projudaïsme. Marine Le Pen s’est adoucie en brave mère de famille ; Bardella s’est montré jeune premier séduisant. Le RN issu du très antisémite Front national, fondé par le père Le Pen qui ne cachait pas son mépris des juifs, est devenu philosémite et pro-israélien. Ce projudaïsme récent est difficilement crédible. Il est visible que Marine a évolué, en paroles, dans le sens de la modération. Le RN a évolué sur l’Europe et s’est déclaré respectueux des règles démocratiques, il fait campagne sur les finances publiques et le pouvoir d’achat, mais reste ferme sur ses bases ultra-droitières : rejet de l’immigration et préférence nationale. Et ses alliances européennes (Orbán, Meloni, auparavant Poutine), sont celles de pouvoirs néo-autoritaires.
Pour ce qui est de la gauche, l’émiettement a été surmonté dans le Nouveau Front populaire (NFP). Mais ce dernier a été bâti sur un « contre » (le RN et le macronisme) et non sur un « pour ». Or, on ne s’oppose efficacement que si en même temps on propose. Il est alors nécessaire de formuler une nouvelle voie, car le socialisme et sa variante modérée sociale-démocrate sont périmés. L’absence d’une pensée novatrice pèse sur l’avenir de la gauche. Une « repensée » et une refondation sont des préalables nécessaires. Il s’agit de bâtir une nouvelle conception du monde, de l’homme, de l’histoire, qui viendrait renouveler celle de Karl Marx et combler un vide. Ce travail doit s’accompagner d’un renouveau générationnel et d’une réelle équité homme-femme permettant une réelle féminisation de la politique.
Le NFP est parasité par des querelles de personnes et des conflits de préséance. Le déclin de la prééminence mélenchonienne n’a pas encore permis l’émergence d’un leader incontestable, comme pourrait l’être Laurent Berger. Aucune pensée renouvelant le marxisme ne s’est imposée. Et on attend toujours la formulation d’une voie nouvelle qui lierait indissolublement réforme économique, réforme de l’Etat et réforme écologique. C’est la condition indispensable pour que la gauche devienne un parti de gouvernement et de transformation.
Et pourtant, malgré ses carences et fragilités, le Nouveau Front populaire est le seul recours face au RN en essor et à la macronie droitifiée. L’importance attribuée à la lutte contre les inégalités et la reprise de l’initiative écologique m’incitent à lui accorder sinon ma confiance, du moins ma sympathie critique. Je soutiens le NFP.
Combattre l’antisémitisme
Paradoxalement, la revitalisation politique s’est accompagnée d’un confusionnisme généralisé. Le NFP est stigmatisé à tort comme antisémite non seulement par la macronie mais aussi, impudemment, par le RN.
Le carnage à Gaza a suscité un anti-israélisme. L’oppression des Palestiniens sert aussi de prétexte à un nouvel antisémitisme, qui doit être combattu. Mais l’accusation d’antisémitisme lancée contre le NFP confond la dénonciation du carnage de Gaza et du colonialisme israélien, c’est-à-dire la critique d’une oppression et l’hostilité à Netanyahou, avec un antisémitisme.
Comme il faut combattre l’antisémitisme, il faut en parallèle refuser la confusion entre la critique d’Israël et l’antisémitisme. De même que la critique radicale des ayatollahs n’est pas une atteinte à la nation iranienne, de même l’anti-israélisme politique n’est pas la négation de l’existence d’Israël et de son peuple.
Que penser du stupéfiant projudaïsme du RN, héritier du Front national de Jean-Marie Le Pen qui ne ménageait pas son hostilité au « lobby juif » ? La suavité philosémite de Marine est-elle de paroles ou effective ? La parole judéophile a convaincu Serge Klarsfeld, le chasseur de nazis, et Alain Finkielkraut, le chasseur d’antisémites ou supposés tels. Je préfère garder mon scepticisme.